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Stomach Company PERFORMING ARTS COLLECTIVE
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Urbanisme, création, lien social

Une conférence étrange se déroule devant nos yeux. Colyne Morange – artiste pluridisciplinaire – nous présente le projet d'une pomme géante dressée au milieu d'un rond-point. Ce projet répond à une commande publique dont l'objectif est la ré-urbanisation du périphérique, plus particulièrement du tronçon de rocade dénommé Johanna Fribourg. L'œuvre proposée (car il s'agit bien d'une œuvre, 1% culturel oblige), est donc une pomme. Une pomme dans laquelle on pourra croquer, comme nous l'explique le storyboard représentant une famille qui rentre tard et ne sait pas ce qu'elle va manger. Mais ce n'est pas – non – une simple pomme géante comestible et régénérative. C'est une pomme dans laquelle on peut pénétrer grâce à un escalator, qui contient plusieurs espaces de détente, des bassins, une pomme diffusant de la musique, une pomme stimulante. On y rencontre aussi des gens, c'est une pomme qui rassemble.


Finie, donc, la solitude anonyme du périphérique, celle que l'on rencontrait dans le travail précédent de Colyne Morange, Ô l'air frais des bords de route ?


Non, la pomme est une illusion géante. On le comprend très vite grâce à l'humour distancié mis en œuvre et grâce à la musique inquiétante créée par Mathias Delplanque, qui déconstruit le propos au fur et à mesure. Comme si la démarche positiviste engagée dégoulinait sur elle-même, devenait justement cette compote que la conférencière prépare sur scène.

C'est que bien sûr, il s'agit d'une anticonférence. En reprenant ses codes, présentation power-point, ton convaincu, adresse au public, avancée de chiffres, on nous prépare en réalité à l'inefficacité, au « ratage ». Ratage annoncé par la conférencière elle-même qui nous présente ses projets précédents en qualifiant le « ratage » comme sa marque de fabrique. L'ironie est donc toujours là, à la fois évidente et délicate car on n'en vient jamais au sketch, la frontière entre la conférence et la performance est maintenue dans le flou, comme celle entre la réalité et la fiction.

Pour autant, nous ne sommes pas face à un art qui se commente lui-même, à une mise en abyme, le propos est plus vaste et si l'on peut dire, plus grand. Nous sommes bien confrontés ici à l'errance produite par ces espaces sans histoire que l'on veut, de force presque, ré-humaniser, habiter. Mais habiter un lieu ne se fait pas sur commande et la pomme géante qui veut à la fois laver de la journée de travail, éteindre les voitures en feu, nourrir les gens et abriter les sans-abris ("ah non, ça on verra plus tard") apparaît comme le miroir de ces projets qui parcourent déjà nos villes et promettent une cohésion sociale miraculeuse. Comme un pansement grossier sur la solitude des gens, une parodie d'amour.

Bioround est en cela, non pas une œuvre absurde comme peuvent le laisser penser les premières minutes de la conférence, mais pleine de sens. Et même lorsque l'on tend vers l'extrême – l'évocation de la tortue mi-morte, mi-vivante, conçue pour le mémorial Suisse, là encore, on se trouve au-delà d'un humour saugrenu, mais bien devant une emphase porteuse de sens. Dans une volonté rassembleuse et fourre-tout, on honore la mort par un geste mortifère.
On retrouve bien la solitude d'Ô l'air frais, plus violente encore peut-être, puisque la conférence est une forme moins fictive. Pas de « ratage » ici, pas de compote, mais beaucoup d'intuitions sur notre monde et un langage qui sait faire son travail, questionner.

Louise de Ravinel, auteure, éditrice au sein de la maison Les Effarées

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